Armand Romieu Maire d'Agde du 20 mai 1888 au 31 mai 1890

Armand Romieu est décidément l'une des personnalités phares des différentes municipalités agathoises, qui se succèdent en cette fin de XIXème siècle. Elu au Conseil Municipal depuis 1860 (il a alors 30 ans) sous la mandature de Coste-Floret, dont il fut l'Adjoint, Armand Romieu a déjà occupé à deux reprises les fonctions de Maire : de 1878 à 1881 puis de 1882 à 1885, quand, en cette année 1888, de nouvelles échéances se présentent à lui.

Romieu contre Romieu

Cette élection voit s'affronter 3 listes dans des conditions plutôt particulières. En effet, il y a la liste Républicaine de Joseph Androgue, la liste Républicaine d'Armand Romieu «de Portal» et la Liste Conservatrice d'Armand Romieu… avouez qu'on s'y perdrez. Après un premier tour de scrutin, qui voit les trois listes se retrouver en ballotage pour le second tour, les deux listes républicaines s'unissent avec, à leur tête, Armand Romieu «de Portal», l'ancien Maire, qui choisit pour l'occasion et afin d'être mieux identifié d'accoler le nom de sa femme à son patronyme, et se retrouvent opposées à celle d'Armand Romieu, «professeur d'hydrologie», qui officie à l'instruction des futurs marins agathois.
Et de fait, cette élection ne se passe pas dans la sérénité puisque le journal «Le Petit Agathois» relate que «des procès verbaux sont dressés contre les nommés M… et R… pour cris séditieux». Au final, c'est Armand Romieu, l'ancien Maire, qui est élu avec 1 006 voix contre 951 à Armand Romieu «l'hydrologue». Le Conseil Municipal est composé de 17 partisans de l'ancien Maire et de 6 partisans de son opposant et chaque camp tente d'invalider l'élection de l'autre auprès du Préfet. L'argument du Maire est que le professeur d'hydrologie travaille pour la Marine Nationale et ne peut, en tant qu'assimilé militaire, prétendre à une charge de conseiller ou de maire. L'hydrologue souhaite quant à lui la révocation des 17 conseillers de la majorité sur la base de 7 irrégularités qui auraient été commises lors de l'élection comme la distribution de tracts qui aurait été faite dans l'escalier de la Mairie par un garde champêtre, ou même la promesse qu'aurait faite le conseiller Marcel Crouzilhac de donner 50 F à un électeur, qu'il déclare ne même pas connaître, s'il votait pour son camp. Chacun envoie un courrier de défense au Préfet qui juge les deux plaintes irrecevables, obligeant ainsi les deux camps à travailler ensemble.
L'équipe municipale reste globalement la même que la précédente. Adrien Vidal est élu Premier Adjoint et Emile Fayn, second, mais au fil du temps des dissensions à la fois avec l'opposition mais aussi au sein même de la majorité se font sentir.

Contrairement aux précédents mandats d'Armand Romieu et nonobstant les quelques contentieux électoraux évoqués plus haut, cette mandature commence dans un calme quasi-absolu. Le Maire se contente de gérer les affaires courantes et ne semble pas être porteur d'une réelle ambition pour sa ville, hormis celle de poursuivre la mise en œuvre des projets déjà engagés. Les renvois «à une séance ultérieure» ou «en commission d'étude» de la majorité des quelques rares projets présentés finissent par inquiéter de nombreux conseillers.

Ainsi, M. Audouard proteste-t-il, le 1er mars 1890, «contre les retards qu'on met à soumettre les dossiers au Conseil Municipal».
A partir de l'automne 1889, c'est à chaque fois une dizaine de conseillers qui manquent à l'appel de chaque séance. Il n'en reste qu'une poignée, mais en nombre toutefois suffisant pour voter les décisions. Au début de l'année 1890, un premier conseiller démissionne : Sever Vidal. Trois autres : Etienne Laurens, Aimé Blachas, l'ancien Maire, et Eugène Fallet décèdent. Quant au Maire, il est de plus en plus souvent absent du Conseil, laissant son premier Adjoint le présider.
Vient enfin le coup de grâce le 9 avril 1890 : «le Président de la République, sur la proposition du Ministre Secrétaire d'Etat au Département de l'Hérault, vu l'article 86 de la Loi du 5 avril 1884, décrète que M. Romieu, Maire de la Ville d'Agde (Hérault), est révoqué» (nous n'avons pas pu déterminer la cause précise de cette décision mais le climat qui règne au sein du Conseil ne doit pas y être étranger). Toutefois, Armand Romieu conserve son mandat de conseiller municipal. Mais des élections complémentaires destinées à nommer les quatre conseillers manquants sont organisées : le Conseil Municipal élit alors l'ancien Premier Adjoint de Romieu de Portal, Adrien Vidal, au poste de Maire le 31 mai 1890. Et c'est peu de temps après, le 13 mai 1891, qu'Armand Romieu meurt, à l'âge de 60 ans.

La gestion des affaires courantes

S'agissant de l'équipement de la Ville en matière de distribution d'eau, une des priorités de l'époque, le Conseil décide, le 20 juin 1888, le changement de la turbine du système d'alimentation de l'usine hydraulique. Au Grau d'Agde, qui n'est toujours pas relié au réseau, on creuse deux puits supplémentaires. Et devant le gaspillage apparent, Armand Romieu de Portal propose le 9 août 1888 la création d'une commission d'étude du gaspillage. Toutefois, à la fin du mandat, elle n'aura toujours pas donné le moindre résultat. Le projet d'équipement du quartier de la nouvelle caserne est revu. On y ajoute les rues Brescou, Saint-Jean, Saint-Martin, Saint-Antoine, du Glacis et du Bourget.
L'élévation de l'eau, comme la fourniture d'électricité, est mise en adjudication en février 1890. Concernant cette dernière, la Municipalité fait le choix d'un cahier des charges très strict. Deux sociétés postulent, mais la première, la compagnie Guitton, est vite écartée au profit de la société Waller, car elle ne prend pas en compte la fourniture d'eau. De plus, la société Waller offre des prestations supplémentaires à celles proposées par sa concurrente. Ainsi, les réparations et l'entretien des machines ainsi que du bâtiment, sauf le gros œuvre, seront prises en charge par la compagnie. Les nouvelles turbines pourront servir à la fois à la fourniture d'eau et d'électricité, et ce, pour un coût de 5 000 F par an à la charge de la Ville. Ce montant sera revu à la hausse au prorata de l'augmentation de la demande qui, pour l'eau, est fixée en cette année 1890 à 3 500 m³ par 24 heures.
Enfin, pour ce qui est de la voirie, la Ville se retrouve dans l'obligation, après l'avoir soigneusement combattu, d'appliquer la Loi du 20 août 1881 l'obligeant à reconnaître les 43 chemins ruraux situés sur la commune. A des fins d'entretien, 4 000 F sont votés, portant le budget total du poste voirie à 20 361,42 F. Par ailleurs, il est décidé que l'Avenue de la Gare passera sous contrôle du Département dès que la Ville aura effectué pour 3 000 F de travaux.
Par ailleurs, le progrès technique entraîne l'abandon total de l'éclairage public au gaz au profit de l'électricité en avril 1890, sa gestion étant mis en délégation auprès de la compagnie Waller.

L'Abonnement des Vendanges : des négociations ardues

Ce traité d'une durée de 30 ans passé avec les contributions indirectes pour le paiement des taxes sur l'alcool par la Ville arrive à échéance. Il convient donc de le renégocier. Par le passé, et surtout en temps de crise, les deux administrations se sont retrouvées presque toujours en désaccord. Il en sera de même pour cette nouvelle négociation. Une lettre du Préfet datée du 7 septembre 1888 propose que son montant soit évalué sur la base des 6/10èmes d'une récolte normale, soit 18 957 F, prétextant que «la vigne n'a pas été éprouvée outre mesure» et que «la Commune d'Agde est l'une de celles qui a le moins à souffrir des dégâts résultant de la maladie». On peut logiquement douter de l'objectivité de cette dernière déclaration au vu des crises successives traversées par la Ville : Phylloxéra en 1879 et 1881, Mildiou en 1884, Black Rob en 1885, sans compter les sécheresses et les inondations déclarées par le passé. La ville propose quant à elle 5/10èmes, soit 15 798,05 F. Pour la seule année 1889, les Contributions réclament que la participation de la Ville soit estimée sur la base de 7/10èmes soit 22 117,27 F. Après réclamation du Conseil, le Préfet tranche à 6/10èmes, sans que cela influe sur la négociation en cours concernant le renouvellement du traité conclu pour 30 ans et pour laquelle Romieu de Portal campe sur la base de 5/10èmes. Devant le refus réitéré du Préfet, le Maire tente une dernière démarche auprès du Directeur des Contributions.

Une fiscalité qui se veut plus sociale

En février 1890, les tarifs de l'octroi (la taxe sur les denrées entrées en ville) sont revus afin qu'ils soient «plus avantageux pour les classes ouvrières et les personnes peu fortunées». C'est ainsi que sont supprimées les taxes en vrac pour «les olives, les sardines marinées à l'huile, les poissons salés, les essences et vernis, les couleurs solides ou liquides, en poudre ou pâte, le blanc d'Espagne».

La Nouvelle Caserne (Mirabel)

Les études s'affinant, la superficie du terrain est portée à 2,09 hectares entraînant l'achat de terres à 14 propriétaires différents.
Ici encore, le Préfet intervient pour contester «la combinaison financière adoptée». Il propose un prêt sur 32 ans. Le Maire répond que «la Ville est en état d'assurer le remboursement de l'emprunt en 30 ans sans grever outre mesure les contribuables». Le 29 avril 1889, le Ministre de la Guerre signe la convention qui stipule que la commune doit verser 100 000 F au Département de la Guerre un mois après la signature. Or le prêt de 327 000 F n'est pas encore finalisé occasionnant 4 900 F d'intérêts en plus, qui seront payés grâce à une taxe supplémentaire de 4 cts. Une autre augmentation du budget apparaît après une étude du Chef du Génie Militaire qui s'aperçoit que l'on a oublié de comptabiliser 65 mètres de tuyaux, ainsi que les plaques en fonte des égouts et les conduites secondaires. Par ailleurs, il demande que le réservoir d'eau de la caserne soit porté à 4 mètres de diamètre afin de passer d'une contenance de 17 650 L à une capacité de 31 400 L et qu'il soit mis en place «sur un beffroi de 5 mètres de hauteur de manière à ce que l'eau puisse arriver aux lavabos (…) au premier étage du bâtiment», ce qui entraîne une augmentation totale de 3 000 F. Dans la foulée, le Conseil Municipal réitère la demande formulée auprès du Général Commandant en Chef du 16ème Corps d'Armée pour l'obtention de la totalité d'un bataillon (500 hommes), requête qui est «accueillie favorablement». Pour appuyer cette demande auprès du décideur, les deux Armand Romieu sont envoyés par le Conseil auprès du Ministre de la Guerre, Charles de Freycinet.
Une autre conséquence de cette installation future est l'utilisation de 355 m² du nouveau cimetière qui seront dédiés aux militaires, «situés à gauche de la 3ème allée».
Le champ de tir du Cap d'Agde reçoit près de 800 hommes à l'entraînement en juin 1888. Pourtant, les 3,75 hectares qu'il occupe ne sont pas encore acquis par la Ville en totalité. Après le règlement de l'affaire Raynaud, propriétaire terrien qui refusait la vente et qui, au final, a négocié le prix à la hausse, c'est au tour de son voisin, M. Roger de contester le prix d'un terrain de 50 x 800 mètres, que les militaires occupent déjà.

Un premier projet de tramway jusqu'au Grau d'Agde

En 1889, le Conseil Municipal étudie un projet privé de liaison Agde-Le Grau d'Agde en tramway tracté par des chevaux. Le circuit projeté partirait de la «Consigne», au sud de la place de la Marine, longerait l'Hérault jusqu'à la chapelette (sous l'actuel pont de la RN112), passerait par Notre-Dame de l'Agenouillade, rejoindrait le fleuve et le suivrait jusqu'à la mer, soit en tout et pour tout un parcours de 4 km. Les voitures d'été et d'hiver, au nombre de 10, sont prévues roulant à 10 km/h avec 4 rotations par jour pour les voyageurs et les marchandises. Les tarifs s'échelonnent de 0,15 F à 0,40 F pour la totalité du trajet et des abonnements sont prévus. Le coût de cette installation est de 130 445 F avec une subvention municipale annuelle de «5 000 F jusqu'à concurrence d'une recette de 20 000 F». L'installation serait reversée à la Ville au bout de 30 ans. Le Conseil Municipal approuve le projet sauf 4 conseillers dont le Maire et ses deux Adjoints !

D'un autre côté, le 16 juillet 1889, le Conseil donne son aval à la création d'un tramway Agde-Marseillan. Là aussi, l'examen de ce projet prendra du retard, renvoyé à quatre reprises à cause de l'absence des représentants de la société du tramway aux travaux de la Commission du Conseil. Au final, une modification sera apportée au cahier des charges, prévoyant une traction mixte et non plus seulement animale, mais le projet n'avancera pas pour autant.

L'école des filles n'a toujours pas de nouvelle adresse

Dans le secteur éducatif, il y a peu d'évènements notables. Une lettre du Sous-Préfet en novembre 1889 note la mauvaise situation de l'école des filles, toujours en projet, qui «laisse beaucoup à désirer au point du vue de l'installation et de la sécurité. Il y a lieu de choisir d'urgence un autre local pour la tenue de l'école». Armand Romieu de Portal répond que «les recherches pour trouver un local plus convenable ont été aussi infructueuses que celles que l'on fit en 1886». L'école restera donc là où elle se trouve jusqu'au «jour où vous pourrez réaliser la construction du bâti projeté». Dans la foulée, le Maire annule la promesse de vente de l'immeuble Cavaillé, pourtant pressenti pour accueillir la nouvelle école par le Maire précédent.

Le feuilleton «Lachaud»

Le Sous-Préfet demande la nomination des deux représentants municipaux à la Commission Administrative de l'établissement. C'est à cette occasion que M Ganivenq, l'un des conseillers municipaux, pointera le retard du traitement des dossiers qu'il «attribue tout particulièrement au Maire» et qu'il «accuse de mettre invariablement au panier toutes les injonctions de l'autorité supérieure ayant trait au legs Lachaud». Le Maire lui répond que «le Conseil d'Etat n'a toujours pas statué sur l'exception demandée par la Ville à l'application de la Loi sur les établissements publics, ni sur la composition du Conseil d'Administration et qu'il n'y a pas lieu de faire quoi que ce soit dans l'intervalle». Néanmoins, le Conseil nommera le 1er mars 1890, Armand Romieu «le professeur» et Etienne Laurens, «le châtelain», qui décèdera 39 jours plus tard et sera remplacé par François Flourens.

Dans l'intervalle, l'immeuble Lachaud, maintenant construit depuis près de 10 ans, nécessite des réparations. Le 26 avril, un jugement du Tribunal de Première Instance de Béziers autorise, conformément aux clauses du testament, «le Conseil Municipal à payer les 7/8èmes du legs fait par feu M. Lachaud. L'autre 8ème devant être payé aux héritiers naturels» (c'est-à-dire la part provenant de l'héritage des parents de Victor Lachaud et devant leur revenir). Ainsi, ce jugement permet de «mettre la Ville en possession, quant à la part qui lui revient, de toutes les valeurs et immeubles dépendants de la succession». Mais comme toujours dans cette affaire, la suite montrera que tout n'est pas si simple.