Jean Félix Maire d'Agde de 1919 à 1944

10 décembre 1919 : Jean Félix, propriétaire viticole, est élu Maire d'Agde, succédant ainsi au médecin Jean Bédos. Durant 25 ans - il sera reconduit dans ses fonctions jusqu'en août 1944 - Jean Félix restera le premier magistrat de notre cité. Un quart de siècle qu'il marquera de son empreinte.

Portrait : Un homme intelligent et courageux

C'est le 03 décembre 1885 que Jean Marius Félix naît à Agde, au domicile de Sever Jéchonias Félix et de Françoise Garrigues. Fils unique, il est très entouré par ses parents qui le poussent à étudier. Bachelier à 15 ans, il exercera les fonctions de maître d'internat à Béziers mais ne poursuivra pas ses études suite à une malheureuse histoire : il fut sanctionné après avoir ramené à l'internat des coquillages qui rendirent malades tous ceux qui en avaient mangé. Ce qui ne l'empêcha pas de continuer, durant toute sa vie, à se documenter pour enrichir ses connaissances.
Jean Félix deviendra ensuite jardinier aux côtés de son père, avec qui il remportera même un concours ! Jardinier dans l'âme, il savait créer des fleurs et même des plants de vigne… Il occupera également diverses fonctions dans la Mutualité Agricole.
Mobilisé au 258ème R.I., Jean Félix, devenu sergent sur le champ de bataille, est blessé à Saint-Jean de Buzy en août 1914 et fait prisonnier en mars 1916. Il reviendra néanmoins au front où sa conduite lui vaudra de nombreuses décorations, notamment la Croix de Guerre.
Marié à Anna Augustine Delmas, ce fils unique aura 5 enfants : Joséphine, Marcel, Marie-Louise, France et Jean Sever et 6 petits-enfants.
C'est dans sa ville natale qu'il s'éteint le 31 octobre 1968, à l'âge de 83 ans.
Cet homme, qui paraissait froid de prime abord, cachait une âme d'artiste et de poète…*
N'avait-il pas fréquenté Frédéric Mistral dans sa jeunesse mais aussi, à Paris, les salons littéraires de Mme Ménard d'Orient, petite fille de Victor Hugo ? Il aimait aussi la photographie et était curieux de tout, s'intéressant tout autant à la vannerie qu'aux civilisations anciennes, à la nature qu'à la vie de son pays. Il était enfin pacifiste et très tolérant, respectueux des idées des autres, même s'il défendait farouchement les siennes…

Un engagement politique de la première heure

Issu d'une famille républicaine - son père était socialiste - c'est tout naturellement que Jean Félix fonde à l'âge de 16 ans, le groupe de la Jeunesse Socialiste Révolutionnaire d'Agde.

Un engagement qui ne le quittera plus. En effet, il sera tour à tour membre de la Fédération Socialiste Autonome de 1901 à 1905, membre du parti socialiste SFIO de 1905 à 1934, candidat à diverses élections jusqu'en 1914 et par ailleurs secrétaire de la Bourse du Travail d'Agde de 1912 à 1914.
Parce qu'il avait voté pour l'armement de la France (non qu'il soit partisan de la guerre mais il pensait que pour défendre la paix, il fallait pouvoir défendre le territoire français), il sera exclu du parti socialiste en 1936.
Elu Député de l'Hérault sur une liste socialiste en novembre 1919, il devient Maire d'Agde la même année, fonction qu'il occupera jusqu'en 1944. Il eut notamment pour Adjoints «MM. Rolls et Réveille», précise le Dr Picheire, mais aussi, après les élections de 1939, «MM. Louis Vallière, Isidore Matal, Louis Galy et Michel Bel». Jean Félix sera député à 3 reprises : de 1919 à 1928 puis de 1932 à 1936. Cette année-là, candidat à la députation de l'Union Socialiste et Républicaine et de la Défense Viticole pour la deuxième circonscription de Béziers, il sera battu.
Sa grande compétence lui vaudra d'être chargé par le gouvernement, en 1937, d'enquêter sur la situation générale de l'agriculture en Afrique du Nord avant d'être nommé en novembre 1938 Président du Comité National Interprofessionnel des Agrumes, institué auprès du Ministère de l'Agriculture.
Son parcours en politique ne s'arrête cependant pas là : Jean Félix sera ainsi secrétaire de la Fédération du PSDF en 1936-1937, membre de l'UDSR après 1945 avant d'adhérer à nouveau à la SFIO. Jouissant d'une certaine influence à Agde après la seconde Guerre Mondiale, on lui prête la mise sur pied de la liste Vallière, son ancien Adjoint, qui devint Maire en 1953.
Qualifié de «propagandiste infatigable du Parti Socialiste», Jean Félix est décrit comme un orateur de talent. C'est lui qui fondera ainsi l'hebdomadaire intitulé «Le Languedoc Socialiste» qui paraîtra dans l'entre-deux guerres et dont il sera Directeur de 1921 à 1940. Son attachement partisan fut tel qu'il sera à l'origine de la dénomination de la place de l'Evêché «Place Jean Jaurès». En effet, ainsi que le note le Dr Picheire, le conseil municipal, lors de sa séance du 12 juin 1920, «accueillit le souhait de la section socialiste de donner à une des rues de la ville le nom de Jaurès. «Considérant qu'il s'agit non seulement de répondre aux désirs des socialistes mais encore que, pour tous les partis politiques, Jaurès était l'homme de la paix».»

Un défenseur inconditionnel de la viticulture

Jean Félix fut, avec Edouard Barthe, un défenseur éclairé et efficace de la viticulture méridionale. Il faut dire qu'il était lui-même vigneron. Disposant de tout le matériel nécessaire : foudres, pressoirs… et pensant à ceux qui n'en avaient pas, il décida de créer en 1937 la cave coopérative de vinification d'Agde dont il sera président. Le bâtiment, réalisé par l'entreprise Caruso, avait à sa création une capacité de 23 000 hectolitres. Déjà, en 1926, il avait fondé la distillerie coopérative «L'Agathoise». Il fut aussi Vice-Président du Syndicat Professionnel des Viticulteurs de l'Hérault et administrateur de la confédération des vignerons du Midi.
Jean Félix fit de son attachement à la vigne et au vin l'un de ses chefs de bataille : il sera candidat aux élections de novembre 1919 sur la liste conduite par M. Barthes, pour «dénoncer toutes les injustices, prendre en main la défense des plus humbles et des intérêts viticoles». Sa parfaite connaissance des aléas du métier de viticulteur lui dictera sa conduite au Parlement et justifiera ses nombreuses initiatives et interventions, notamment sur la distillation des vins, la répression des fraudes, la réglementation de la vente des vins et l'assainissement de cet important marché.

Un Maire à l'origine de nombreuses réalisations

Restaurer les finances avant de lancer travaux et projets…

Sitôt élu Maire, Jean Félix eut pour «principal souci», «la restauration des finances de la Ville. Sans entrer dans les détails, on peut dire qu'ils y réussirent en utilisant principalement les ressources ordinaires de la ville» écrit le Dr Picheire. Ainsi qu'il le précise ensuite «dès 1923, jugeant nos finances rétablies, le conseil municipal approuva un programme important de travaux : la réfection de l'abattoir, la création d'un établissement de bains-douches et d'un dispensaire d'Hygiène Sociale dans l'immeuble de l'ancienne Consigne, l'aménagement des écoles publiques (comme l'école des filles), la construction d'un réseau d'égouts, l'élargissement de certaines rues» mais aussi la construction de la cave coopérative viticole d'Agde. «Le devis de ces travaux s'élevait à 2 307 000 francs», précise le Dr Picheire, couvert par des subventions demandées à l'Etat et au Département, mais aussi par un «emprunt au Crédit Foncier de 481 195 francs».
En matière d'établissements scolaires, la municipalité Félix entreprendra notamment en 1928 «d'importantes réparations» au sein de l'école des filles (actuelle école Anatole France). L'Etat accorda pour cela «une subvention de 198 000 francs mais la ville dut contribuer pour 97 590 francs, fournis par le Crédit Foncier au taux de 5,05 %» souligne le Dr Picheire. Cette année-là, un cours primaire complémentaire fut ajouté au collège d'Agde. On peut noter enfin qu'en janvier 1936, le Ministère de l'Education Nationale fit don à la ville «d'une statue provenant de la démolition du Trocadéro : (…) une Néréide maniant l'aviron» qui trône depuis place de la Marine.
En octobre 1932, le conseil vota, «sur le devis de M. Peyre, architecte, la somme de 201 600 francs, couverte par une subvention de l'Etat et un emprunt» afin de «donner à la jeunesse des terrains de sport».
Pour conclure sur ce chapitre, signalons que Jean Félix fut à l'origine du bitumage des rues d'Agde. Comme l'explique le Dr Picheire, «le mauvais état du sol de nos rues exigeait une réfection ; en décembre 1932, le conseil municipal prit la décision de recouvrir nos artères d'un revêtement bitumé (…) qui, en fin de compte, est bien plus doux aux pieds délicats que nos anciens pavés.»

Un visionnaire

Jean Félix fut aussi, ce qu'on ne sait pas, un visionnaire. Ainsi, en 1923, présenta-t-il à Paris, dans les ministères où il avait ses entrées, un projet résolument futuriste : celui d'une station balnéaire chic au Cap d'Agde. A l'époque, la zone ne regroupait que quelques baraques et la maison des pêcheurs et le Grau d'Agde n'était qu'un hameau ! Il avait aussi eu l'idée d'établir un casino sur Brescou avec un système de navettes…

Une route entre Agde et Sète et un nouveau pont…

Sous son mandat législatif, de grandes réalisations furent faites à Agde, parmi lesquelles la route reliant Agde à Sète et le pont métallique enjambant l'Hérault. S'agissant de la route de Sète, le Dr Picheire précise que le conseil municipal, «après une prévision louable de l'importance que devait donner à notre ville un chemin de grande communication», «intervint le 12 juin 1920 auprès du conseil général de l'Hérault pour lui demander d'accélérer les formalités et se déclara prêt à voter la part contributive de la commune. Disons, pour être exact, que ce projet était antérieur à 1914 mais que la guerre en avait empêché la réalisation». Quant au pont, il s'agissait de remplacer «l'ancien pont suspendu, dont la solidité était devenue précaire et qui exigeait de continuelles réparations.» L'ingénieur départemental en chef des Ponts et Chaussées informa le conseil municipal le 29 septembre 1922, «en lui demandant une participation de 6,66 %. La largeur prévue des trottoirs était de 1 mètre, nos administrateurs obtinrent de la porter à 1m50 et acceptèrent une participation plus importante, qui s'éleva à 71 000 francs.» Le pont fut mis en service en 1926.

Un Monument aux Morts pour le cimetière

On doit également à Jean Félix la réalisation du Monument aux Morts du cimetière d'Agde. Une décision qu'il prit le 21 juillet 1922, sur l'idée du Comité pour l'érection d'un monument à la mémoire des morts pour la France. Ce Monument, qui fait face à l'entrée du cimetière vieux est dû à l'architecte agathois Antoine Cassagne. Il a été réalisé grâce à une souscription publique de 36 400 francs à laquelle la Ville ajoutera la somme de 12 000 francs puis un crédit supplémentaire de 8 536 francs. Le Monument sera inauguré en mai 1925. Sur la grande plaque de marbre installée en son centre, on peut lire le nom des soldats et marins agathois morts pour la patrie en 14-18, auxquels ont été ajoutés ensuite ceux de la guerre 39-45 puis de la guerre d'Algérie. Sur le fronton, est gravé l'inscription «à nos morts glorieux».

Un Musée pour Agde

Parmi ses autres réalisations, on peut noter que c'est aussi à lui que l'on doit la création du Musée Agathois puisqu'il lui attribue l'immeuble où il se trouve encore aujourd'hui, rue de la Fraternité. Sous sa présidence d'honneur, se réunirent pour la première fois les 10 membres fondateurs de l'Escolo Dau Sarret : Joseph Chauvet, qui en fut le premier Capiscol (Président), Jean Bédos, Jules Baudou, Albert Lenoir, Honoré Besset, Louis Galy, Louis Mialhe, Barthémély Rigal, Louis Vallière et le Dr Joseph Picheire.

Un homme dévoué à ses concitoyens, qui savait faire face…

Durant sa magistrature, Jean Félix dut faire face à plusieurs situations difficiles. Ainsi, en 1920, il fallut réparer les dégâts causés par «l'inondation du 2 novembre, qui avait noyé sous ses flots boueux les quartiers bas de la ville et toutes les terres de la plaine, ce qui entraîna le chômage parmi les ouvriers agricoles». Autre époque, autre inondation… Celle «du 10 janvier 1930 fit également interrompre les travaux et 30 000 francs furent votés pour l'ouverture de chantiers communaux». On peut noter que, suite à cette dernière crue du fleuve, le conseil municipal se pencha sur la question de l'alimentation en eau. Hélas, le système mis en place en 1932 (avec le forage de 2 puits de 10 mètres de profondeur environ) ne permit pas de résoudre le problème, l'eau étant, au fil de l'utilisation des puits, de plus en plus chargée en sel et calcaire. «Il fallut en revenir à une solution de compromis, eaux des puits pendant les crues et eau de l'Hérault dès que le fleuve avait repris son cours normal. Les compteurs que l'on avait placé chez les usagers et qui ne pouvaient fonctionner qu'avec des eaux limpides, furent assez rapidement colmatés.»
Jean Félix eut aussi à gérer des périodes de chômage «qui se renouvelèrent jusqu'en 1939». Pour y faire face, le conseil municipal votera «10 000 francs de crédits en 1933 et 50 000 en 1935», note le Dr Picheire. En 1936, face à la grève du bâtiment qui «intéressait plus de 80 ouvriers», le maire «essaya de résoudre le conflit «sans prendre parti» et fit voter une subvention exceptionnelle complémentaire de 4 000 francs au Bureau de Bienfaisance». On retiendra de lui son dévouement à ses concitoyens. Ceux-ci, d'ailleurs, n'hésitaient pas à aller trouver dans son jardin et même chez lui où il lui arrivait fréquemment de devoir interrompre son repas pour les recevoir.

Un nouvel hommage…

Le nom de Jean Félix est aujourd'hui associé au jardin public, situé devant l'actuelle école Jean Moulin. Quoi de plus normal, puisque c'est à lui qu'on doit sa réalisation. Il faut dire, ainsi que le souligne le Dr Picheire, qu'en matière de jardin, M. Félix était «expert en la matière» puisqu'il fut, comme nous l'avons précisé plus haut, un temps jardinier.
Aujourd'hui, la municipalité a décidé de lui rendre une nouvelle fois hommage en donnant son nom au nouveau Foyer troisième âge du Grau d'Agde. Celui-ci va en effet être aménagé dans l'ancienne villa de Jean Félix.

* En encadré Urbs Nigra…

Le brun fils de la Grèce et la Gauloise blonde
Firent en Agathé souche de fiers marins,
Dont l'audace effrayait les nautonniers latins,
Qui déjà se posaient en conquérants du monde
Sur leurs frêles esquifs flottant au gré de l'onde,
Aux premières lueurs debout tous les matins,
Ils sondaient du regard les horizons lointains,
Comme pour surveiller la mer tout à la ronde.
Malheur à qui bravait la colère des dieux !
Si fort soit-il, et qui s'approchait de ces lieux !
Malheur aux imprudents, malheur aux téméraires.
D'innombrables esquifs venaient de tous côtés,
Et l'intrus succombait sur les coups répétés…
… C'est ainsi que naquit la race des corsaires !